11 avril 2018

Ian Rankin, l'interview en roue libre cuvée 2018

Ian Rankin by Maryan Harrington
Inutile de mentir, personne ne me croirait. La présence de Ian Rankin à Quais du polar n'a pas été pour rien dans mon déplacement à Lyon cette année. Beaucoup d'actualités, encore plus de projets, cet homme-là ne s'arrête jamais. Deux publications en France cette année, pour fêter ses 20 ans aux éditions du Masque : une nouvelle enquête de John Rebus, Le diable rebat les cartes (voir la chronique ici) et un généreux recueil de nouvelles, The Beat Goes On, qui permettra aux nouveaux lecteurs de parcourir, dans l'ordre chronologique, la vie de John Rebus, et aux amateurs de faire la connaissance d'un Ian Rankin nouvelliste surprenant et multiple. Côté projets, Rebus au théâtre avec une pièce, Rebus : Long Shadows qui sera montée pour la première fois à Birmingham en septembre, avant de tourner au Royaume-Uni. Une toute nouvelle histoire de Rebus écrite par Ian Rankin et adaptée pour la scène par Rona Munro. Et puis Rebus de retour en librairie avec un nouveau roman, la 22e enquête, In a House of Lies, à paraître en octobre. Les sujets de conversation ne manquent pas. Commençons par le projet de série télé. Et par un grand merci à Ian Rankin pour son temps et sa générosité.

On en est encore aux prémisses. La société de télévision a fait travailler un excellent auteur, maintenant il faut qu'il transforme le projet, que tout le monde aime, en scénario. Et ensuite il faudra le vendre à une chaîne. L'auteur a décidé que dans la série, Rebus aura entre 40 et 50 ans. Alors que le Rebus qu'on verra sur scène dans la pièce de théâtre sera contemporain, c'est-à-dire qu'il aura 65 ans.

Ça n'est pas un peu étrange, cette idée de deux John Rebus d'un âge différent, qui auront chacun leur vie simultanément sur scène et sur les écrans ?
Si, c'est bizarre. J'ai fait vieillir John Rebus, pour rester fidèle à un certain réalisme. Quand je me suis mis à écrire Le diable rebat les cartes, j'ai décidé de lui infliger cette maladie des poumons, la bronchopneumopathie chronique obstructive pour être précis. Alors bien sûr, sa santé ne va pas s'arranger. J'ai appelé un de mes amis qui est atteint de cette maladie, pour qu'il m'explique ce qu'il peut faire et ce qu'il ne peut plus faire. Le prochain roman, In a House of Lies, se déroule en février 2018, il faisait très froid à Edimbourg. Donc Rebus ne peut pas sortir dans le froid, ne peut pas côtoyer des gens qui toussent et éternuent parce qu'il ne doit pas attraper leurs maladies. Il a du mal à monter les escaliers : même ses deux étages, c'est un peu trop. Il pense à déménager pour prendre un appartement en rez-de-chaussée.

C'est un peu triste, tout ça.
Oui. Mais quand même, Rebus reste Rebus.

Dans le dernier roman, Le diable rebat les cartes, il a encore une certaine vigueur. Et il n'est plus seul.
Eh bien dans le suivant, son chien Brillo est toujours là. Et aussi le professeur, Deborah. Parce que ma femme l'aime bien. Mais nous en avons déjà parlé : je ne sais pas du tout combien de livres il lui reste...

Quand on suit un peu les réactions de vos lecteurs, on s'aperçoit que certains d'entre eux s'intéressent à Malcolm Fox.
Eh bien il sera dans le nouveau livre. Sa progression de carrière et celle de Siobhan provoquent des tensions entre eux. C'est intéressant...

J'ai cherché sur internet des informations sur ce lieu où Malcolm travaille, Gartcosh, le campus du crime écossais. C'est un endroit incroyable, presque effrayant.
Oui, Police Scotland a beaucoup changé et continue à changer. Pour les auteurs, c'est difficile : à chaque changement, on se dit : "Oh non, pas ça!". En plus ils ont eu beaucoup de problèmes avec certains de leurs officiers : ils se sont retrouvés suspendus pour brutalité, pour corruption, pour n'avoir pas respecté les règles. 

Ian Rankin à la librairie Compagnie (Paris), le 9 avril 2018

D'où est venue l'idée de publier The Beat Goes On en France cette année ?
Je ne sais pas trop, j'imagine que c'est pour fêter mes 20 ans au Masque. Dans le livre, la chronologie est respectée, mais toutes les nouvelles ont été écrites à des moments très différents. Par exemple, la toute première du recueil, "Mort et enterré", a été écrite pour une édition spéciale d'un de mes livres récents, On ne réveille pas un chien endormi, mais il y est question de Rebus et de Cafferty très jeunes. En plus, il y a quatre ou cinq nouvelles que j'avais complètement oubliées, et qui ont été dénichées par un étudiant qui fait un PhD sur Rebus ! 

Quel effet est-ce que ça fait de redécouvrir ces nouvelles oubliées ?

C'est un peu bizarre. Quand j'étais jeune, j'écrivais beaucoup, deux romans par an, et beaucoup de nouvelles aussi. 

C'est la première fois que l'édition française de vos romans a rattrapé les romans originaux.
J'imagine que c'est dû pour partie à la disponibilité du traducteur. Mais je suis bien obligé d'avouer que je ne comprends pas grand-chose à tout ça. Par exemple, mes livres sortent aux Etats-Unis après leur publication au Royaume-Uni, et pourtant, il n'y a pas de problème de traduction. Pour moi, l'édition c'est toujours un mystère.

Vues de l'extérieur, les choses peuvent sembler assez bizarres, effectivement. C'est le cas des auteurs qui, tout à coup, ne sont plus traduits. C'est le cas d'Adrian McKinty en France, que vous aimez beaucoup je crois, et dont les livres vont à nouveau être publiés bientôt, ce qui est une bonne nouvelle.
Quand j'ai rencontré Adrian en Australie, il était sur le point de renoncer à sa série Sean Duffy. Il raflait tous les prix, tout le monde reconnaissait la qualité de ses livres, et pourtant ça ne marchait pas. Et puis il a rencontré un nouvel agent, qui, apparemment,  a fait du bon travail. Souvent, les succès et les échecs reposent sur des éléments complètement extérieurs à la qualité du texte. D'ailleurs c'est un peu ce qui nous arrive avec la série télé : les chaînes regardent les chiffres qui ont été réalisés par l'ancienne série Rebus. Or, notre projet est complètement différent, vraiment novateur. Et en plus, le public des séries policières a beaucoup changé. Mais les chaînes sont très prudentes, très conservatrices.

Parlons un peu musique. Vous vous êtes enfin lancé, et le résultat est plutôt convaincant. Isabelle est une belle réussite (à écouter ici).
En fait on prépare le deuxième single ! Et nous allons faire notre premier concert fin juillet, dans le cadre d'un gros festival dans la région des lacs, Kendall Calling. En tête d'affiche, il y aura des gens comme les Libertines... Ce sera notre premier concert, et peut-être le dernier.

Et alors, comment vous sentez-vous ?
Nerveux... On ne peut pas répéter très souvent. Nous sommes six dans le groupe, et nous sommes tous très occupés.

Vous avez combien de titres ?

Cinq ou six.

Qu'est-ce qui vous a décidé à franchir le pas. Jouer de la musique, chanter, vous y pensez depuis longtemps...
On m'a demandé, c'est aussi simple que ça. J'ai rencontré deux journalistes, un d'entre eux était batteur dans un groupe, ils cherchaient quelqu'un pour chanter, et voilà. On prend beaucoup de plaisir, nous avons tous la cinquantaine et plus, sauf le bassiste qui a une trentaine d'années. A l'origine, l'idée était de faire un single, de le donner à nos amis et puis basta. Et puis finalement, on a trouvé ça tellement bien qu'on a continué ! 

En tout cas, c'était une belle surprise et j'ai hâte d'écouter la suite. Revenons un peu au roman qui vient de sortir. Pourquoi avoir choisi de traiter d'un crime qui a eu lieu dans les années 70?
C'est parce que Rebus n'est plus dans la police. La façon la plus facile de le faire enquêter, c'était de trouver un crime sur lequel il avait travaillé dans le passé. Rebus est quelqu'un qui aime que les choses trouvent leur résolution. Le meurtre de cette femme à l'hôtel est inspiré d'une histoire vraie qui s'est déroulée dans le nord de l’Écosse. L'épouse d'un homme riche a disparu, on a retrouvé sa voiture sur une route, près d'Inverness. Cette partie de l'histoire se déroule à Edimbourg en 1978, l'année où je suis moi-même arrivé à Edimbourg pour y faire mes études. C'était très agréable de reconstituer les lieux de l'époque... Quant à l'histoire contemporaine, elle est elle aussi inspirée par un fait réel : on a effectivement retrouvé à Edimbourg un appartement qui servait de faux siège social à des centaines d'entreprises : c'était un centre de blanchiment d'argent en provenance des pays de l'Est, d'Ukraine. La BBC a tourné un documentaire sur cette histoire.
Le prochain roman ressemble un peu, dans la structure, au précédent. Il s'agit d'une affaire de personne disparue sur laquelle Rebus a travaillé. Il y avait aussi un détective privé dans l'histoire, dont on retrouve le corps des années après. On rouvre le dossier, Siobhan enquête sur le meurtre, et c'est Malcolm Fox qui travaille sur le rôle joué par Rebus dans l'enquête d'origine... 

Vous m'avez bien dit que vous veniez de penser à une intrigue secondaire ?

Eh oui, encore des complications, encore du travail. J'ai jusqu'au mois de juin...

Que pensez-vous de tous ces nouveaux auteurs écossais ?

Ah ça c'est vrai, il y en a beaucoup. Trop (rires) ! En fait, c'est très bien, c'est incroyable pour un si petit territoire.

Demain, vous avez une table ronde avec Alan Parks ?
Oui, j'ai lu son livre, plutôt classique qui m'a beaucoup fait penser à William McIlvanney, sans doute à cause de l'époque où il se déroule.

Il dit qu'il veut faire une série de douze romans, un pour chaque mois de l'année.
Hmmm... "A" pour "Alibi", "B" pour "Burglar". Ça me ferait 26 livres. Sacré projet! Sérieusement, il se passe des choses intéressantes dans le monde de l'édition: aujourd'hui, quelqu'un comme Graeme McCrae Burnet peut être considéré comme un auteur de roman policier. Et c'est quelqu'un qui a quand même fait partie des nominés pour le Booker Prize alors que très peu d'auteurs de polar y sont parvenus. Cela montre que les éditeurs commencent à s'intéresser aux auteurs de polar écossais, c'est très bien. Il y a aussi Michael Malone, Chris Dolan. Et un nouveau-venu qui n'en est pas vraiment un: Ambrose Parry. Qui n'est autre que le pseudonyme de Chris Brookmyre et de sa femme, Marisa Haetzmann, qui est anesthésiste. Leur projet porte sur l'histoire de l'anesthésie, qui a été inventée à Edimbourg. Ce sera une série de polars historiques qui se dérouleront à Edimbourg au XIXe siècle. Intéressant...

Des festivals à venir ? 
2017 et 2018 ont été très riches, surtout avec les 30 ans de Rebus à Edimbourg. C'était merveilleux, mais épuisant. Pas de Harrogate pour moi cette année, ni de Bristol, ni de Bloody Scotland car je serai probablement en tournée à ce moment-là. Et puis je suis trop vieux pour jouer au foot ! (note : le festival Bloody Scotland est traditionnellement marqué par un match de football qui oppose les auteurs écossais et les auteurs anglais). Il y aura une tournée anglaise d'une semaine à la sortie du nouveau livre, puis 10 jours au Canada, et encore quelques dates avant Noël au Royaume-Uni.

Et en France ?
Rien n'est prévu pour l'instant. Je sais que Claude Mesplède voudrait bien que je vienne à Toulouse. Et puis cela fait longtemps que je ne suis pas allé à Étonnants Voyageurs, c'est un festival que j'adore, dans une ville que j'adore.

Ian Rankin, Le diable rebat les cartes, traduit par Freddy Michalski, Le Masque
Ian Rankin, The Beat Goes On (recueil de nouvelles traduites par Freddy Michalski), Le Masque
Un grand merci à Maryan Harrington pour le portrait de Ian Rankin, réalisé à Lyon.

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